SHALLALAT

L'étude du métal

ARCHEOMETALLURGIE

Valérie Pichot

"Il serait malaisé et à la fois imprudent de commencer par une vue d'ensemble ; approchons-nous par petites étapes de l'univers de la métallurgie."
M. Eliade, Forgerons et alchimistes, Paris, Flammarion, édition corrigée et augmentée, 1977, p. 20
L'Archéométallurgie appelée aussi paléométallurgie, se définit comme étant l'archéologie des vestiges miniers et métallurgiques. Comme dans beaucoup d'autres domaines, c'est grâce à la confrontation des apports de diverses disciplines que l'on peut donner un sens aux différents types de vestiges archéologiques. L'interprétation des vestiges archéologiques liés à la production et au travail du métal (c'est-à-dire aux différents procédés qui composent la chaîne opératoire) est très souvent ardue. Ces vestiges ne sont généralement pas spectaculaires et restent difficiles à cerner. Afin de pouvoir sur un site identifier le type d'activité métallurgique ainsi que l'organisation technico-sociale, on doit donc procéder à des observations très fines, méthodiques. L'archéométallurgie lie intimement archéologie et archéométrie et implique un dialogue constant entre ces deux disciplines.
 
Chaîne opératoire : ce terme s'applique au parcours qu'un matériau, quel qu'il soit (végétal, minéral, plante cultivée, métal), effectue entre son état de matière première et son état de produit fini. Chaque chaîne peut se décomposer en un certain nombre de mailles, de stades ou d'étapes de son déroulement. Les moyens intervenant au cours de chaque étape sont pris en compte, décrits et étudiés : il peut s'agir d'outils, d'actions sur la matière, des sources d'énergie mais aussi du temps, du lieu de réalisation. Ce concept de chaîne opératoire est l'outil de base de l'archéologue et de l'historien des techniques.
 
Travail en laboratoire : Les observations de la microstructure du métal nécessitent un travail préalable de prélèvement et de préparation d'échantillons à partir des objets sélectionnés (il peut s'agir ici aussi bien de déchets relatifs au travail du métal comme les scories, les battitures,etc..., que de semi-produits, tels que les loupes, les lingots ou encore de produits finis). Ces échantillons sont préparés (mise en résine, polissage) en laboratoire afin d'obtenir une surface miroir. Ils sont ensuite examinés dans un microscope spécifique (microscope métallographique) selon un plan préalablement choisi.
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Prises de vue au microscope métallographique
(culot de forge - fouille du Cricket)
© CEA

Ce travail de métallographie relève du domaine des sciences des matériaux et s'appuie sur des connaissances issues des recherches sur des matériaux contemporains et anciens. Le métal garde en mémoire certaines informations qui témoignent assez précisément de l'histoire thermomécanique de l'objet : martelage, coulée,..., recuit, trempe... Ces observations sont complétées par des analyses de composition du métal. Ces résultats une fois interprétés permettent d'identifier les procédés de formage, de reconstruire des chaînes de fabrication, d'évaluer les qualités d'alliages et les savoir-faire techniques.

 

Archéométallurgie à Alexandrie

L'étude archéométrique et archéologique des chaînes opératoires métallurgiques vise à identifier à partir de nombreux vestiges archéologiques le type d'activité, l'organisation technico-sociale au sein des sites, ainsi que l'organisation spatio-temporelle de la circulation des produits (matière première, demi-produit, produit fini) à Alexandrie et ses environs à l'époque gréco-romaine. Un des intérêts majeurs à effectuer ce type d'étude sur la Basse Egypte réside dans l'absence apparente d'une métallurgie extractive et l'importance d'une métallurgie de transformation basée sur des importations, des échanges à moyenne et longue distance surtout dans le cas d'une ville comme Alexandrie.
L'importance d'Alexandrie en tant que centre d'activités commerciales et industrielles dans le monde méditerranéen aux époques hellénistique et romaine est unanimement reconnue. Au sein de ces nombreuses activités qui animent la capitale de l'Egypte, les industries du métal semblent tenir une place de tout premier ordre. La production de métal à Alexandrie est attestée pour les périodes ptolémaïque et romaine dans la littérature ainsi que par quelques sources papyrologiques, et la naissance de la chimie pratique est traditionnellement localisée à Alexandrie à l'époque romaine. Mais il s'avère difficile d'appréhender ces activités par l'archéologie.

Les sites tests
(l'étude de ces sites est en cours)

Les sites de l'ancien Consulat britannique et du Cricket Ground

L'observation du mobilier archéologique mis au jour sur ces deux sites (fouillés en 1996-1997) atteste pour la période hellénistique une importante activité métallurgique au sein de laquelle la sidérurgie semble prédominer. Un grand nombre de culots et d'autres déchets de forge ont été mis au jour et les premières observations effectuées sur ces rebuts permettent déjà de différencier les deux sites. Si au Consulat nous sommes vraisemblablement en présence de forges d'épuration, les déchets du Cricket présentent un faciès de forge d'élaboration de petits objets. Il est évident que seules les analyses métallographiques, puis un retour aux données de terrain pourront permettre de déterminer à quels maillons de la chaîne opératoire appartiennent ces vestiges. Etant donné la proximité géographique de ces deux sites il est tentant d'émettre l'hypothèse d'un lien entre leurs activités.En effet, il est tout à fait possible que les semi-produits fabriqués sur le site du Consulat soient utilisés dans les ateliers du Cricket. Mais ce lien ne pourra être mis en évidence qu'en confrontant les données archéologiques et les résultats archéométriques.
culot vu de dessus, cliquer pour agrandir
culot (coupe), cliquer pour agrandir

Culot de forge (vue de dessus et coupe) . Fouille du Cricket
Photos © CEA

cliquer pour agrandir Le grand nombre de pointes de flèche en fer et en bronze, de talons de lance en fer (qui sont encore en cours de remontage) et de balles de fronde en plomb découvert sur le site du Cricket Ground nous pousse naturellement à entrevoir une fabrique d'armes sur ce site.
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Armes d'époque hellénistique (fouille du Cricket) Pointes de flèche en bronze et balles de fronde en plomb.
Photos © CEA

Mais il peut tout aussi bien s'agir de matériel récupéré par les artisans et stocké dans l'attente d'une réutilisation. Il est donc important de rester prudent quant à l'interprétation de ce genre de découverte. Là aussi la confrontation archéométrie-archéologie est primordiale afin d'éviter tout raccourci hâtif.

Les ateliers de métallurgie de Marea

Situé à une quarantaine de kilomètre au sud-ouest d'Alexandrie, en bordure du lac Mariout, le site de Marea, port important dans l'antiquité, est aussi un site clef pour ce projet de recherche en archéométallurgie. Les diverses campagnes de fouille qui ont été menées sur ce site depuis la fin des années soixante-dix ont mis au jour d'importants bâtiments datés de l'époque byzantine (thermes, huilerie, magasins,....). Ce site est interprété comme une étape de pèlerinage et un avant-poste militaire à l'époque byzantine. Les dernières prospections effectuées sur l'île située au nord-est du site (raccordée à la terre ferme par une chaussée) ont permis de mettre en évidence la présence d'ateliers de bronziers et de forges : zones de concentration de scories et de parois de fours, de fragments de tôles de fer, présence de fours encore en place qui semblent associés au travail du bronze, présence de rebuts en bronze, affleurements de murs, ... Une première campagne de fouilles se déroulera au printemps 2003 au début de laquelle une topographie fine et une prospection géophysique de la totalité de l'île seront effectuées, ce qui pourra permettre d'avoir une vision globale de l'organisation des structures enfouies et d'effectuer des choix plus judicieux sur les zones à fouiller en priorité.